L'AFFAIRE DU COMBAT
Un journalier poignardé rue Rébeval. - Coups de revolver et coups de couteau. - Feu! sur les agents. - Cinq arrestations.
"Mais on n'en avait pas fini, tant s'en faut, avec les bandits, qui, depuis de longs mois, depuis la fameuse affaire de « L'homme coupé en morceaux » terrorisent Paris. Les Apaches étaient sortis ; il fallait, coûte que coûte, qu'ils fissent parler d'eux.
En effet, vers deux heures et demie du matin, un paisible journalier, M. René Foulon, demeurant 22, rue Botzaris, commit l'imprudence, en regagnant son domicile, de passer au quartier général des bandits, rue Rébeval.
On se souvient que Manda, signalé deux fois sur ce point, où lil s'était caché dans la chambre d'un complice, parvint à s'échapper malgré les forces de police qui entouraient l'immeuble. M. Foulon arrivait donc à l'angle de la rue Rampai, lorsque, brusquement, cinq individus surgirent de l'encoignure d'une boutique et se jetèrent sur lui.
L'un d'eux lui tira un coup de revolver en plein visage. Atteint au côté gauche du front, M. Foulon porta vivement ses mains en avant, mais, au même moment, un autre bandit lui plongea à deux reprises un long couteau catalan sous chaque omoplate et il laissa l'arme dans la seconde plaie.
Le malheureux journalier fit un bond de côté et eut encore la force de courir en criant: « Au secours ! A l'assassin ! » jusqu'à, l'angle de la rue Pradier où se trouvent le poste et de commissariat de police du quartier du Combat, mais il tomba là comme une masse, la face contre terre et perdant le sang à flots.
Aux cris de la victime, le "planton" du poste, nommé Clerget, accourut et retira l'arme de la plaie — la lame, qui avait pénétré jusqu'au manche, ne mesurait pas moins de seize centimètres de longueur.
Tandis que d'autres agents prodiguaient des soins aux Messes, le gardien Clerget et le brigadier Pougault se mettaient à la poursuite des assassins. Rue de Tourtille, ils en rejoignirent deux, mais ceux-ci, faisant volteface, se campèrent, revolver au poing et tirèrent plusieurs coups de feu sur les agents.
L'un des bandits, un nommé Gaston Saconney, âgé de dix-huit ans, demeurant avenue Parmentier, tira de sous sa veste une hachette et chercha à en frapper le brigadier Pougault ; mais l'agent Clerget, se précipitant au secours de son chef, se jeta courageusement sur le misérable individu et réussit à le désarmer, tout en le mettant dans l'impossibilité de nuire.
Camille Saconney, frère du précédent, et âgé seulement de dix-sept ans, fit feu de nouveau sur l'agent Clerget, dans le but de délivrer le prisonnier. Or, celui-ci fut atteint d'une balle à la nuque, en même temps que le gardien de la paix recevait l'autre projectile dans la tête, au-dessus de l'arcade sourcilière droite.
Le brigadier Pougault maîtrisa, non sans peine, de jeune misérable, qui fut conduit avec son frère, sous bonne escorte, dans une pharmacie d'abord où on leur prodigua des soins, et au poste ensuite.
Mais le bruit des détonations avait attiré des agents cyclistes et d'autres gardiens Hotiers. Toujours sous la direction du brigadier Pougault, ceux-ci se mirent à la recherche des autres agresseurs, qu'ils nuiront par découvrir au n° 20 de la rue des Couronnes.
Tous s'étaient réfugiés chez un de leurs complices, Fernand Malnoury, âgé de dixsept ans et-se disant ouvrier mécanicien.
Le siège d'une maison
On avait retrouvé les bandits, mais on ne tes tenait pas encore. En effet, ceux-ci s'étaient barricadés dans le logement de Malnoury, en amoncelant derrière la porte une commode, des chaises, des malles, une table et ils juraient de se défendre jusqu'à la mort.
Il fallut faire le siège de la maison.
On fit voler la porte en éclats. Les bandits avaient éteint toute lumière, mais, à la clarté d'un «rat» de cave, les agents purent les apercevoir, tous armés de revolvers. D'une poussée violente, les meubles furent renversées, et les misérables se trouvant pris, en présence du nombre des agents qui, tous, également, étaient prêts à tirer, n'osèrent point faire feu. Ils opposèrent, néanmoins, une résistance des plus vives, mais, finalement, force resta à la loi.
Les deux amis de Malnoury sont les nommés Emile Senac, dix-huit ans, sans profession, demeurant rue de Louvain, et Georges Châtelain, dix-huit ans, camelot, domicilié rue de Tourtille.
Toute la bande fut réunie au poste de police de la rue Pradier où se trouvait déjà M. Guillaume Amat, l'actif commissaire du quartier du Combat.
Les blessés
Le magistrat s'occupa tout d'abord des blessés. M. Foulon, le malheureux journalier de la rue Botzaris et l'agent Clerget, qui venaient d'être pansés dans une pharmacie de la rue Rébeval, furent transportés en hâte à l'hôpital Saint-Louis.
L'état de M. Foulon est considéré comme désespéré. Les blessures de l'agent Clerget, quoique graves, ne mettent pas ses jours en danger. Nous croyons savoir que ce courageux gardien de la paix sera, ainsi que son chef, le brigadier Pougault, l'objet d'une récompense honorifique.
Avant d'attaquer M. Foulon, les cinq bandits avaient fait d'autres victimes dans le quartier du Combat. Au cours de son enquête, en effet, M. Amat apprit qu'un peintre décorateur, M. Emile Rauguet, âgé de quarante sept ans, demeurant en hôtel, impasse Dupuis, avait été attaqué, rue Rébeval, presque au même endroit. Plusieurs individus s'étaient jetés sur le malheureux, l'avaient frappé de coups de couteau et s'étaient emparés de son porte-monnaie, contenant l'argent de sa semaine.
M. Rauguet est soigné dans la salle Cloquet. Il porte à la tête plusieurs blessures assez graves.
Perquisitions
Dans le courant de la journée, M. Amat a opéré des perquisitions aux domiciles des assassins de M. Foulon ; il y a découvert une quantité considérable d'objets provenant de vols. Ces individus volaient particulièrement dans les bonnes caves, les vins des meilleurs crus. Quand ils tombaient sur une pièce de "pivre" de peu de valeur, ils se vengeaient en laissant le robinet tout ouvert.
Gaston Sacconey, dont l'état est grave, a dû être évacué sur l'infirmerie spéciale du Dépôt.
Chatelain, Sénac, Malnoury et Camille Sacconey sont à la « Tour Pointue". Des arrestations plus retentissantes sont attendues d'une minute à l'autre."
Titre : Le Journal
Date de Publication : 1902-08-25
Directeur de publication : Xau, Fernand (1852-1899).
Source : Bibliothèque nationale de France