10 octobre 1906 - Montmartre terrorisé

Posted by Jeremy T on

Montmartre terrorisé

MONTMARTRE TERRORISÉ

Est-ce une vengeance des amis du Dénicheur ? -  Une nuit sanglante rue Coustou.

"Lorsque, hier, à propos de l'assassinat du Dénicheur au bar Manon, boulevard de Clichy, nous demandions son sentiment au commissaire de police des Grandes Carrières, M. Dupuis, sur l'arrestation probable du meurtrier, l'aimable magistrat nous répondit que la Sûreté n'aurait peut être pas la peine de l'arrêter et la justice celle de lui faire expier son forfait. Très probablement, en effet, les amis du Dénicheur se chargeraient, nous disait-il, de 'venger leur chef. 

 

L'événement n'a pas tardé à réaliser les prévisions du commissaire. Du moins, tout permet de penser que les incidents sanglants dont la rue Coustou, située non loin du bar Manon, a été cette nuit le théâtre se rattachent au meurtre du Dénicheur et sont les représailles attendues.

 

La petite rue Coustou, entre la rue Lepic et le boulevard de Clichy, est des plus mal famées. Rendez-vous de filles et des souteneurs, elle leur offre, en outre, des asiles sûrs dans plusieurs boutiques de marchands de vins. Même au n.°4 de la rue, on leùr donne à danser trois fois par semaine. L'hôtel du Mont-Dore possède, en effet, au rez-de-chaussée, une salle assez vaste, garnie de tables, et d'une, estrade, où prend place un joueur de musette. 

On devine quel monde interlope fréquente cet établissement, que deux gardiens surveillent d'ailleurs spécialement les soirs de bal.

Le patron de l'hôtel du Mont-Dore, M. Jacob, nous a ce matin décrit la scène en ces termes :

"Contrairement à ce que l'on a dit, il ne s'est absolument rien passé dans mon établissement, tout s'est passé. dans la rue, et d'ailleurs, ce fut fait en un clin d'œil. 

II était environ onze heures le bal battait son plein. De ci de là, dans les groupes, j'avais bien entendu parler de la mort du Dénicheur et de représailles possibles mais la présence des gardiens de la paix me rassurait sur le maintien de l'ordre dans la salle, quand j'entendis un coup de feu au dehors ; je me précipitai au seuil de ma porte, eh même temps que plusieurs consommateurs. A ce même moment, un jeune homme qui, vraisemblablement, se disposait à entrer dans mon établissement, tombait le long du trottoir, dans le ruisseau. Il avait reçu une balle dans la tête et perdait son sang en abondance. J'appris' que c'était un nommé Ernest Gillet, âgé de dixsept ans, connu, à Montparnasse et à Montmartre, sous les sobriquets de "Luluce" et de "Gargouillot", et habitant rue d'Orsel. 

 

Tandis que les amis de Luluce le transportaient à la pharmacie de la place Blanche, où, la veille, précisément, on avait déjà conduit le Dénicheur, les deux agents de service à l'intérieur du bal musette se jetaient à la poursuite de l'assassin. Les agents, qui avalent vu le meurtrier fuir dans la direction du boulevard de Clichy, coururent à tout hasard de ce côté, mais ne purent capturer qu'un jeune homme de seize ans, nommé Marcel Roux, qui tenait à la main un couteau grand ouvert. 

 

Il fut donc emmené au commissariat de l'impasse Tourlaque, en même temps que l'on y ramenait le cadavre de Luiuce. Ce dernier, en effet, n'avait pas tardé à succomber à sa blessure, et les agents le déposèrent sur le même-brancard où le cadavre du Dénicheur avait attendu, la veille, son transport à la Morgue.

 

On aurait pu croire que les choses, au moins pour cette nuit, en resteraient là. Mais il n'en fut pas ainsi. En effet, vers une heure du matin, la population spéciale qui, nous l'avons dit, grouille dans la rue Coustou, avait le premier moment de panique et d'émotion passé repris ses coutumiers ébats, lorsque, presque en face le bal-musette de l'hôtel du Mont-Dore, dans la boutique d'un marchand de vins établi au numéro 7 de la rue Coustou, un nouveau coup de feu éclata. En dépit de la diligence qu'apportèrent les agents à se rendre compte de ce qui venait de se passer, on ne put, cette fois, arrêter personne.

 

Le patron de l'établissement, M. Bonnefoy, que nous avons vu ce matin, assure qu'il ignore si cette affaire, comme la précédente, fait partie de la série de représailles engendrées par le meurtre du Dénicheur, mais les renseignements, que nous avons recueillis d'autre part ne nous permettent pas d'en douter. Le coup de feu tire dans cet établissement visait en effet un jeune apache portant le sobriquet de "Titus" et qui a été blessé assez légèrement pour pouvoir s'enfuir sans demander son reste. Or Titus fait partie de la bande de Montparnasse qui exécuta le Dénicheur. A Montmartre, cette série sanglante, qui peut se prolonger pour le plus grand dommage d'une population honnête et travailleuse, provoque, est-il besoin de le dire, une émotion intense. On réclame à grands cris un sérieux coup de filet qui, véritablement, semble s'imposer..."

JACQUES DELARUE.

 

Journal : La Presse

Date de Publication : 1906-10-10

Directeur de publication : Girardin, Émile de. 

Source : Bibliothèque nationale de France